mercredi 23 décembre 2015

Port-au-Prince - Noël, la mauvaise rime


Demain, 23 décembre, ce texte, que j'ai écrit pour le compte du quotidien Le Nouvelliste, aura 10 ans. Rien a changé depuis. Sinon pour le pire...

Port-­au­-Prince et la Noël. Des mots qui ne riment plus. Ordures dans les rues. Visage terne des principaux bâtiments publics. Le 24 décembre, pas de messe de minuit en perspective à la Cathédrale de Port­-au­-Prince. Et nulle part ailleurs. Inflation. Mauvais présage à l'approche des prochaines élections. Insécurité... La liste pourrait encore s'étendre. 



Tout ici est au point mort. C'est un fait. A l'heure
des fêtes de fin d'année, Port­-au-­Prince ne respire la Noël qu'à travers le
commerce. Rachitique. Exclusif. La Noël 2005, à Port­-au-­Prince, se résume aux gargantuesques décorations de certains magasins et institutions bancaires et à la liquidation par des marchands ambulants de certains produits alimentaires expirés ou proches de la date d'expiration. Il y a, bien sûr, à la radio le matraquage opéré par des spots publicitaires des prétendues occasions spéciales offertes par les magasins, fournisseurs de carte de crédit... pour les fêtes de fin d'année. Quant aux journaux, ils deviennent plus épais. Publicité oblige. Jugez­-en vous­ même par celui que vous tenez en mains. N'était­-ce le harcèlement du commercial, la Noël serait une F N I P. Fête Non Identifiée à Port-­au­-Prince.

Régression

« Chaque réverbère porte une décoration. Le Champ de mars est en verre et rouge. Lumières colorées se joignent à l'éclairage des lampions. Le Palais National, à la tombée de la nuit, s'illumine sous des chapelets d'ampoules blanches...» C'était il y a moins de trois ans. Ce n'était pas la meilleure des fêtes de Noël. Mais l'esprit de la fête retenait encore l'attention de la population citadine. « Ça faisait rêver les enfants », regrette le Directeur d'un média de la capitale. En 2005, on a tout oublié. Ce n'est que le jeudi 22 décembre, dans une ridicule précipitation, que certains objets, vétustes, blasés... utilisés depuis tantôt 2 ou 3 ans, ont été maladroitement accrochés sur certains réverbères. Bien sûr, il y en a plus pour tous.

Boniface, mauvais locataire

Le président Boniface et sa famille sont traités de mauvais locataires. Aucune décoration n'est en vue dans les parages de la grande maison blanche d'Haïti. Les mauvaises langues disent que c'est parce « l'équipe laisse la maison bientôt, donc pas la peine de l'embellir. Même pas pour la Noël ». Seul fait nouveau, la peinture fraîche de la clôture après les bombages qui ont suivi les dernières manifestations qui avaient choisi pour cadre les parages du jadis prestigieux Palais National. Le temps n'est pas à la fête. Du moins, le visage décrépit de la capitale haïtienne ne s'y prête pas du tout. Tout le plaisir de l'esprit de la fête a disparu.

La Mairie, mère de saleté

« Bâtiment crasseux avec d'extraordinaires toiles d'araignée. Clôtures barbouillées de graffitis. Des dizaines de laveurs d'autos, dans le vaste espace entourant le vieil édifice, s'activent à faire briller les voitures en stationnement. Environnement insalubre... ». Tout ça pour l'hôtel de ville de Port­-au­-Prince, à la veille de la Noël. Le traditionnel couche de peinture blanche n'est pas de mise. Seule décoration, les traces de colère et d'indignation des employés de la voirie revendiquant des mois de salaires non payés. Tout se dit. Et tout s'offre à lire sur les murs de la Mairie de la capitale de la première République noire indépendante du monde.


Noël à vendre

Dans cette léthargie festive, certains continuent de croire dans la fête. Cette croyance s'exprime dans le coeur de la ville, au bord de mer... des centaines d'hommes et de femmes , font le rituel va-­et-­vient, offrant à un nombre impressionnant de passants des marchandises. Cadeaux à offrir à ses proches : corsages ; fleurs ; jeans de grandes marques trafiqués. À la rue du Centre, un jeune dans la vingtaine offre le dernier CD de Nickenson Prudhomme, dont la vente­ signature a eu lieu au courant de cette semaine. « Le cadeau idéal pour ses proches », prétend-­il. Certains seront très contents de recevoir ce CD en cadeau pour la Noël. Mais cadeau empoisonné pour l'artiste. Les CDs, couvertures « full color », sont des copies. Rien que des copies.

La Rue des miracles, à partir de la Rue du Peuple, n'est plus qu'un couloir. Jouets, prêt-­à-porter, sous­-vêtements féminins ultra sexy, sucreries et bonbons expirés, feuilles médicinales, fleurs... occupent plus d'un tiers de la chaussée. Il y a cependant beaucoup de prétendants acheteurs, mais très peu s'arrêtent ou achètent cette Noël. « Ils vendent la Noël à leur manière et à leurs pairs », pensent un propriétaire de magasin de la Rue Pavée qui estime que les affaires s'annoncent bien pour cette année.

Seul espoir de fête réside dans la plupart des églises protestantes qui se préparent à organiser leur traditionnel réveillon de Noël. Certains présidents d'associations de jeunesse contactés avancent que la perspective est là, cependant jusqu'à ce vendredi 23 décembre, très peu de participants avaient déjà payé leur cotisation.

Opinant sur la Noël de cette année par rapport au commerce, un octogénaire s'exprime en ces termes : « Si les affaires sont meilleures cette année, la fête n'est pas plus bonne pour autant dans notre chère Port-­au-­Prince. Toutes les traditions entourant cette fête se perdent. Par exemple, on ne peut plus offrir d'armes aux petits garçons... J'ai 86, et c'est la deuxième messe de minuit que je vais rater de ma vie ». Cette Noël-­là, il n'en veux pas. 

Gaspard Dorélien
23 décembre 2015

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